EADS hésite encore à lancer le futur Airbus A350A l'approche du conseil d'administration d'EADS prévu vendredi 1er décembre, les actionnaires de la maison mère d'Airbus (l'Etat français, Lagardère et DaimlerChrysler) n'arrivent pas à s'entendre pour lancer l'A350, ce biréacteur long courrier de 270 à 350 places appelé à concurrencer le 787 Dreamliner de Boeing. Un précédent conseil prévu le 24 novembre avait été annulé. Les problèmes sont multiples.
Le financement. Pour financer ce projet de 9,5 milliards d'euros, Airbus dispose d'une trésorerie de 4 milliards d'euros, qui lui permet de tenir jusqu'en 2009. Au delà, le constructeur aéronautique espère que le plan (Power 8) actuellement discuté avec les syndicats et les gouvernements, permettra de réaliser 2 milliards d'économies par an. Le constructeur espère aussi commencer à bénéficier des ventes de ses A380. Airbus envisage aussi sous traiter pour 2 milliards d'euros auprès de partenaires industriels. Les actionnaires seront également sollicités. L'Airbus A350 peut donc être financé mais le groupe risque de devoir y consacrer la quasi-totalité de ses moyens financiers.
La position des actionnaires. Leurs intérêts sont divergents. Les acteurs privés (Lagardère 15 % d'EADS et DaimlerChrysler 22,5 %) sont dans une logique de désengagement. Rien ne les incite à mettre de l'argent dans ce projet. Seul l'Etat français avec ses 15 % du capital se dit prêt à soutenir le plan de financement, que ce soit sous forme d'avances remboursables, d'augmentation de capital ou d'endettement. Cette dernière modalité doit être garantie par les quatre Etats (France, Allemagne, Grande-Bretagne, et Espagne) où opère Airbus. Les pouvoirs publics français réfutent la rumeur circulant outre-Rhin assurant que Paris veut prendre le contrôle d'EADS à l'occasion d'une augmentation de capital.
Pour ajouter à l'imbroglio, un autre acteur, l'Etat allemand émerge avec la vente prochaine de 7,5 % du capital d'EADS détenu par DaimlerChrysler. Le constructeur automobile voudrait que les modalités soient réglées, simultanément à la décision sur l'A350. Cette cession se ferait à des acteurs financiers allemands, car Berlin veut maintenir la parité avec les actionnaires français. En raison du pacte d'actionnaires d'EADS, DaimlerChrysler ne peut rien faire sans l'accord des Français. Chacun donc peut bloquer l'autre au risque de provoquer une crise grave chez Airbus.
Politiquement, chacun veut lancer l'A350 mais les incertitudes économiques sont telles que trois scénarios sont possibles.
Le lancement est décidé. Cela mettrait fin aux tergiversations qui durent depuis deux ans et demi, à cause desquelles cet appareil en est à sa troisième version. Lorsqu'en 2003, Boeing en pleine crise annonce qu'il lance un nouvel avion, le constructeur européen ne le prend pas au sérieux. Il envisage simplement d'améliorer la motorisation de ses A330, visé par le futur Boeing.
En décembre 2004, EADS revoit sa copie et annonce le lancement de l'A350. Très rapidement, les clients potentiels critiquent cette version la jugeant moins performante que le B787. Airbus est alors contraint de dessiner un nouvel avion avec un fuselage plus large et de nouvelles ailes. Le projet est présenté au salon de Farnborough (Grande-Bretaggne) en juillet 2006. Il attend depuis l'aval des actionnaires. Handicap : son coût a doublé, passant à 9,5 milliards d'euros et Airbus est en pleine crise industrielle et actionnariale.
Avant de lancer l'A350, les actionnaires veulent notamment que le plan Power 8 soit approuvé par les salariés. Les économies sont d'autant plus indispensables que la faiblesse du dollar face à l'euro a fait perdre 20 % de compétitivité en cinq ans.
Le projet est retardé. Estimant que l'équilibre économique de l'A350 n'est pas encore trouvé et qu'il y a des risques que le plan Power 8 ne soit pas appliqué en raison des interférences politiques tant en France qu'en Allemagne, l'une des options serait... de ne pas prendre de décision. Une situation coûteuse et difficile à défendre face aux 16 compagnies clientes qui ont commandé l'appareil ou pris des options. Mais, vu l'ampleur du marché, et le souci des compagnies de faire jouer la concurrence, cette alternative reste envisageable.
L'A350 est annulé. Certains doutent de la rentabilité du projet car l'A350 serait livré dans le meilleur des cas en 2012 avec quatre ans de retard sur le 787. Ceux-là préconisent de jeter l'éponge pour se concentrer sur le redressement de l'A380, achever le développement de l'avion militaire A400M et surtout préparer la relève de l'A320, le modèle actuellement le plus rentable d'Airbus.
La prochaine bataille avec Boeing sera sur le créneau de ces avions monocouloirs de plus de 100 à 220 sièges qui représenteront 70 % des ventes globales dans les vingt prochaines années. Ce serait cependant un coup dur pour les équipes d'Airbus. Boeing régnerait seul sur le créneau qu'aurait dû occuper l'A350 et deviendrait un compétiteur encore plus dangereux sur les autres marchés.
Dominique GalloisInfo : LeMonde édition du 29/11/06
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